FIBRA

Résidence de recherche et de création du 1er septembre au 20 novembre 2022

Plus d’informations
https://fibracolectivo.com/
https://www.instagram.com/fibracolectivo/

La démarche

FIBRA est un collectif, fondé en 2019 par Gianine Tabja, Lucia Monge et Gabriela Flores del Pozo à Lima qui considère la production de connaissances comme un processus collaboratif et interdisciplinaire qui mêle méthodologies de recherche, connaissances scientifiques, savoirs traditionnels et pratiques artistiques. Leur approche coopérative et écologique les amène à explorer et utiliser des biomatériaux impliquant parfois la co-création avec d’autres espèces. Elles tressent leurs pratiques et se renforcent ainsi elles-mêmes. A travers chacune de leurs fibres, elles se connectent et échangent dans et avec leur environnement.

FIBRA, vue de la résidence, 2022.

Concordances pour pratiques asymétriques

CARTOGRAPHIER LES SPIRALES, PLIS ET CRIS DE LA TERRE - Une œuvre d’art peut s’incarner dans une attitude et une manière de vivre, une vie elle-même peut devenir une œuvre. Si l’expression « faire de sa vie une œuvre d’art » est devenue si familière, c’est sans doute parce qu’elle a été l’une des questions qu’ont exploré les avant-gardes artistiques du 20ème siècle, animées du désir profond de ne plus séparer l’art de la vie ou la vie de l’art, en somme, un « dépassement de l’art » selon la Directive de Guy Debord. Le fait de créer des liens, de la relation - ou pour le dire autrement, des collectifs, des mouvements, des écoles- peut être considéré comme un champ à part entière de la création. Si le principe même de l’avant-garde artistique semble appartenir désormais à un passé, certes proche, mais bel et bien révolu, néanmoins, une nuée de collectifs artistiques émergent telles des lueurs, des lucioles, dans l’obscurité de sociétés profondément divisées et fragmentées. FIBRA est l’une de ces lucioles. Celle-ci s’est illuminée en 2019 au Pérou, à Lima, par l’association de trois artistes, Gabriela Flores del Pozo, Lucia Monge, Gianine Tabja. Le premier projet de FIBRA, intitulé Desbosque : desenterrando señales (que nous pourrions traduire par Déforestation : signes exhumés), consiste en une installation baroque de sculptures sonores en mycélium qui s’activent au rythme de la déforestation de la forêt amazonienne dans la région d’Ucayali au Pérou. La déforestation dans cette région est principalement liée à l’extraction du pétrole et l’extension de monocultures de palmiers à huile. Nous sommes ici dans la continuité tragique du pillage systématique et organisé des ressources en Amérique Latine depuis des siècles. Cette dépossession à l’échelle d’un continent a été admirablement décrite et contée par Eduardo Galeano dans son essai Les Veines Ouvertes de l’Amérique Latine. L’installation est sensible en ce sens qu’elle nous invite à entendre le cri de la forêt qui disparait et de la dépossession du vivant par le pouvoir des forces de production et d’extraction qui en découle, mais elle l’est également par le procédé même de création qui a consisté en un dialogue fécond avec le mycélium de pleurotes comme un allié, un partenaire. Le mycélium dont les hyphes tissent un réseau complexe et relationnel qui enchevêtre dans une architecture relationnelle et invisible la forêt dans la totalité de ses composantes. En un seul geste créatif, FIBRA sollicite un éveil écologique, convoque une autre manière de faire société en incluant les non-humains, et manifeste l’importance d’une création artistique qui a le souci du collectif et de la relation. FIBRA fait œuvre dans la sororité, le soin et l’attention, et l’emmêlement d’altérités.

Lors de la résidence, elles ont développé une œuvre protéiforme, un Manifeste selon leurs propres termes qui prend la forme d’une sculpture en spirales et détours qui tisse une cartographie sensible et complexe des plis du vivant, et dont les matières sont d’origine végétale et minérale. Ce Manifeste s’exprime en dehors de tout langage articulé. Il y là un désir d’échapper à la séparation et au détachement de notre condition de terrestre parmi tous les terrestres qu’ils soient plantes, animaux, micro-organismes, champignons. L’écrivain Camille de Toledo exprime parfaitement le paradoxe du langage humain articulé qui encode la réalité et par là même nous en éloigne : «Nous vivons, nous autres sapiens, dans les plis du langage, des codes, des alphabets. (…) Nous vivons à l’intérieur des fictions que forment ensemble les mots et les codes. Nous nous sommes à ce titre désattachés de nos milieux, de la Terre, des forêts et des lacs et des rivières.». Ce Manifeste s’est créé en écho avec l’une des tragédies écologiques qui frappent à répétition depuis des années les forêts, les rivières et l’Océan du Pérou, à savoir les marées noires. Fin septembre, les artistes de FIBRA apprenaient en effet le déversement de milliers de barils de pétrole dans la Rio Marañón. Cet énième désastre, lié à l’oléoduc qui relie les sites d’extraction au cœur de la forêt amazonienne et les zones industrielles et urbanisées qui font face à l’Océan Pacifique, affecte violemment la faune, la flore. Le Rio Marañón trouve sa source dans la Cordillères des Andes au Pérou et lézarde dans les profondeurs de la Forêt amazonienne pour devenir le mythique fleuve Amazone. C’est donc dans une sensibilité concrète à la fragilité de la rivière et de tous les écosystèmes qu’elle irrigue que se manifeste les actes de création de FIBRA.

Christopher Yggdre

Concordances pour pratiques asymétriques - Restitution de résidence

Crédits photographies - Martin Argyroglo