La Vie Enchevêtrée

Art entrelacé et tissé - Formes et métaphores du vivant

L’exposition La Vie Enchevêtrée conclut la seconde saison des résidences de recherche et de création de la Fondation LAccolade. Le titre de la Saison et de l’exposition est emprunté à l’essai du biologiste Merlin Sheldrake, Entangled Life, qui décrit les capacités et rôles du mycélium dans le concert du vivant. Celui-ci est inséré tout autour de nous, il tisse des réseaux souterrains, s’associe aux mondes végétal et animal, contribue de manière décisive à l’habitabilité du monde. Il n’y a de compréhension possible du vivant qu’à le concevoir comme enchevêtrement, entrelacement, emmêlement. Aux notions d’entrelacement et d’enchevêtrement s’opposent celles de séparation et d’isolement. Nouer avec le vivant c’est lier, relier ce qui a été délacé, délaissé, c’est plaider que l’enchevêtrement est l’architecture du vivant dans toute son étendue et diversité, c’est accepter l’emmêlement avec les nonhumains et tous les éléments de nature. Le vivant est continuité enchevêtrée depuis l’apparition des premières cellules jusqu’aujourd’hui.

A l’origine de cette saison et exposition, nous formulions une hypothèse. Celle-ci consistait à percevoir dans l’usage des multiples techniques textiles, qui se manifestent aujourd’hui avec une puissance renouvelée dans le champ de la création contemporaine, une parfaite métaphore de l’enchevêtrement du vivant. Le vocabulaire et l’imaginaire de la biologie résonnent familièrement avec ceux des arts dits textiles. Nous avons donc invité des artistes qui tissent, tressent, brodent, lient les matières, et qui célèbrent la relation comme ce qui se noue dans une trame qui ne connait ni début ni fin.

La fibre a été omniprésente dans le déroulement de la Saison et le déploiement de l’exposition. Si au sens étymologique la fibre est ce qui est à l’extrémité, au sens de l’usage, la fibre est ce qui est au cœur de la matière quand on la décompose, la dénoue, la détisse. D’origine végétale, animale ou minérale, la fibre est liante, plus proche de nos univers contemporains, artificielle, la fibre permet l’écheveau des communications mondialisées.

$L’ensemble des œuvres de l’exposition présentée à Wilde esquissent un paysage métaphorique et baroque de l’enchevêtrement du vivant, fortement marqué par l’empreinte d’un temps de création long. Au rez-dechaussée, «Texere Urtica», l’installation rhizomatique et polychromatique en fibre d’orties réalisée au tricotin de Luz Moreno Pinart - métaphore du réseau racinaire de l’ortie – fait face aux cartographies brodées de Brankica Zilovic Chauvain, dont «Life», carte du monde brodée sur feutre incarnation du Tout-monde – archipel ou rhizome -, et quatre tondi nommés «Golden» qui dévoilent l’Antarctique dans ses transformations radicales accélérées par le réchauffement climatique. «Manifeste – cartographies pour d’autres lieux possibles» du collectif FIBRA, œuvre protéiforme dont les matières sont d’origine végétale et minérale, tisse une cartographie sensible et complexe des plis du vivant et du terrestre tout en spirales, détours, mais également cris et déchirements. Les deux toiles sur lin de Janaina Mello Landini, issues de sa série au long cours «Ciclotrama», sont issues d’un méticuleux et mathématique «détissage» de cordes enchevêtrées pour se démultiplier et s’expandre sans fin jusqu’à figurer lacis, réseaux, rhizomes. «Semence Collective» de Laura Bartier - issue d’une performance où chacun était invité à semer délicatement une graine de clématite dans une trame textile - redresse le végétal à notre hauteur en un portrait où s’esquisse une danse végétale. Les tableaux d’Élise Peroi, «Mal peignée» et «Pour faire une prairie» - en lin et graminées glanées dans le Jardin Botanique de Bruxelles - et sa sculpture «Jardin Suspendu» - lin et soie peinte qui représente un fragment, en dédoublement vide et plein, de la célèbre fresque antique d’un jardin de la Villa Livia à Rome, nous instruisent d’un jardin sauvage mais tramé. «Flora Hereditas» d’Amy Gross – sculpture en velours, perles, tissu imprimé, verre, papier, perles, fils – est un trompel’œil fantastique et crépitant de vie végétale, mycorhizienne, lichénique, bryophytique et animale. A l’étage, les créatures proliférantes d’Élodie Antoine - parasites en filasse de lin brossée jusqu’à évoquer le cheveu, champignons en velours de soie - contaminent l’espace en un seul mouvement organique, mais nous laissent libres de nos interprétations et sentiments. Enfin, l’installation des Matribiotes - collectif initié par Charlotte Gautier Van Tour et Luz Moreno Pinart - nous invite à un Symbiosium - banquet de la vie et de la symbiose – où tout fait sens et œuvre pour célébrer les microorganismes comme nos alliés et nos compagnons et dire notre intrication avec l’infiniment petit.

Christopher Yggdre - Paris, novembre 2022

Du 17 au 30 novembre 2022, WILDE, 4 rue François Miron, 75004 Paris.

Vues de l’exposition

photographies Martin Argyroglo