Elodie Antoine

Résidence de recherche et de création du 13 mai au 30 juin 2022

Plus d’informations
https://www.elodieantoine.be/
https://www.instagram.com/elodidole_antoine/

La démarche

Elodie Antoine fait appel à des matériaux souples, tels le fil, le tissu, le papier peint, le tapis en laine ou le feutre. Elle travaille sur l’objet quotidien, la chaise, le cadre, l’évier, mais en transgressant leurs limites. Elle invente des objets hybrides mêlant des éléments issus d'univers dissemblables, voire contradictoires; un rouge à lèvres en forme de mèche à béton, des centrales nucléaires en dentelle, une culture de bacilles en broderie, des tuyauteries en feutre ou des usines en tissus matelassés. Dans ses installations, il arrive qu'un élément se reproduise jusqu'à coloniser l'espace. Ses éléments ordinairement inanimés se voient dotés d'une vie propre, contaminent l'espace comme le ferait un champignon, une moisissure, bousculant l'ordre établi et suscitant des sentiments tour à tour de curiosité, d'attraction et de répulsion.

Elodie Antoine, Champignons en velours de soie, 2022.

Proliférations

Elodie Antoine est la seconde artiste invitée de cette Saison 2 des résidences intitulée La Vie Enchevêtrée. Elle a investi la résidence avec ses matières et techniques pour y créer des tensions, des présences qui contaminent l’espace intérieur par du du sauvage et de l’indompté. Si les matières d’élodie Antoine sont variées, fibres d’origine végétale, animale ou encore artificielle, tels que filasse de lin, feutre de laine, velours, soie, ou encore le verre, les techniques le sont tout autant, tissage, couture, broderie, dentelle, ou encore, coiffure, qui ont pour commun d’être habituellement associées à l’artisanat et au domestique. Elle détourne ces matières et techniques pour créer des sculptures qui dans un subtil agencement envahissent les lieux dans une étrange et inquiétante contamination.

Dans l’œuvre d’Elodie Antoine, il est un principe qui la traverse qui est celui de l’ambivalence. Il faut être armé d’un certain courage pour traverser le monde en l’acceptant dans toute sa diversité et ses contradictions, et par extension dans son ambivalence. Si la psychanalyse nous a appris que nous pouvons aimer ce qui nous fait du mal, que nous pouvons rejeter ce qui nous fait du bien, le vivant quant à lui nous apprend quotidiennement que nous sommes attirés par ce qui nous repousse, nous répugne, ou a contrario, que nous rejetons ce qui nous séduit, nous attire.

Lors de sa résidence, Elodie Antoine a ensauvagé l’espace domestique en disséminant dans l’espace des sculptures tels que des champignons en velours de soie, des créatures fantasmagoriques, des chevelures parasitaires, des toiles arachnéennes en dentelle.

Nous préservons nos espaces intérieurs en les stérilisant, les nettoyant du vivant, nous y chassons tout ce qui nous apparaît importun, parasitaire. L’ensauvagement symbolique auquel se livre Elodie Antoine dans l’appartement-atelier de la Fondation LAccolade est un manifeste en soi contre ces maladies de la séparation que sont les phobies à l’égard du vivant. Par effet de contamination, de prolifération, avec Elodie Antoine, l’espace domestique devient le lieu du souvenir et du désir, de la mémoire passée ou à venir, de ce qui nous lie, lace, entrelace, enchevêtre à tout ce qui nous entoure, attirant et repoussant, désirable et indésirable, rassurant et inquiétant. Chacune des sculptures que l’artiste dispose est une invitation à nous projeter dans un monde réconcilié où l’étrange côtoie le familier, l’inquiétude dialogue avec la tranquillité, où le parasite devient un allié. Les techniques auxquelles souscrit Elodie Antoine demande temps et patience, précision et attention. En découvrant ses œuvres, nous pouvons y lire l’empreinte du temps passé à les créer, et ce temps est à la fois celui de l’intime et du social.

Toute perception subjective d’une œuvre fait marcher à plein les analogies, les réminiscences, les filiations. Pour ma part – même si l’œuvre d’Elodie Antoine résiste néanmoins à toute tentative facile de l’associer à d’autres artistes - tout au long de sa résidence, je n’ai jamais cessé de penser à Méret Oppenheim et son Déjeuner en Fourrure, l’une des œuvres les plus emblématiques du Surréalisme. Face à l’œuvre d’Elodie Antoine, j’éprouve une sensation similaire face au Déjeuner en Fourrure, celle-ci est proche du rêve, entre attirance et répulsion, dégoût et ravissement, et cette ambivalence stimule la créativité, nous fait trembler de joie et d’effroi.

Christopher Yggdre

Proliférations - Restitution de résidence

Crédits photographies - Martin Argyroglo